mercredi 16 septembre 2009

Conter ses morts

C'était en 1998. Nous étions au Festival des francophonies en Limousin, à Limoges, en France, avec une délégation de directeurs artistiques de l'Association des théâtres francophones du Canada (ATFC). Au programme, après une interminable cérémonie d'ouverture comme seuls les Français en ont le secret (le maire, qui était aussi préfet, si je me souviens bien, nous avait dit, et ce n'était pas une blague! : « Comme j'occupe deux fontions, vous me permettrez de vous entretenir deux fois longtemps » (si bien que les petits fours étaient impropres à la consommation après son discours)), nous avions assisté à quelques coproductions France-Afrique de peu d'intérêt, à des lectures et à de sympathiques entretiens menés par l'éditeur belge Émile Lansman. Puis il y avait ce spectacle de plus de 3 heures qui nous avait complètement renversés, autant que nous étions.

La première mouture de Littoral, créée l'année précédente au Festival de théâtre des Amériques, avec une distribution exceptionnelle qui mettait notamment en vedette Gilles Renaud, dans le rôle du père, Steve Laplante dans le rôle de Wilfrid et Isabelle Leblanc dans le rôle de Simone, et en tournée européenne cette année-là, nous avait laissé émus, vidés de nos peines, estomaqués et avait sauvé le festival.

Nous avons eu l'occasion de rencontrer Wajdi Mouawad et son équipe (dont David Boutin que j'ai connu à l'Université d'Ottawa) autour d'une table de billard, le lendemain, au bar Le Gousset, chez Edgar Flamand et Danie Chérie, les sympathiques propriétaires du quartier général des festivaliers qui souhaitaient étirer la nuit.

Sylvie et moi gardons un impérissable souvenir de cette représentation de Littoral. Il s'était passé ce soir-là ce que nous allons chercher – mais que nous ne trouvons que rarement – au théâtre : l'expression de notre humanité.

C'est pour cela que je tenais à offrir à ma grande Léa et à deux de ses amies, Catherine et Monica, l'occasion de voir cette pièce importante du répertoire moderne. C'est donc accompagné de trois ados de 13 ans que j'ai assisté à cette nouvelle mouture de la pièce qui a lancé Mouawad et qui réunit une fois de plus une solide distribution québéco-française : Jean Alibert (remarquable dans son rôle du chevalier Guiromelan), Tewfik Jallab (Amé), Catherine Larochelle (Simone), Patrick Le Mauff (ancien directeur du Festival de Limoges qui incarne ici avec force le personnage du père), Marie-Ève Perron (Joséphine), Lahcen Razzougui (Massi), Emmanuel Schwartz (qui reprend le rôle de Wilfrid avec intelligence) et Guillaume Séverac-Schmitz (Sabbé).

J'en suis ressorti heureux, ébloui par cette histoire toute simple d'un jeune homme qui porte sur son dos le cadavre de son père à la recherche d'un lieu pour l'enterrer dans son pays natal, ravagé par la guerre. Sur sa route, il rencontrera des compagnons et compagnes d'infortune qui feront le périple avec lui jusqu'à ce qu'il trouve enfin le lieu du dernier repos. Cette quête d'identité, cette démarche pour donner un sens à leur vie et panser leurs blessures est un extraordinaire exercice de mémoire. Une métaphore qui a alimenté la discussion sur le chemin du retour et qui continuera de soulever des questions, autant dans la tête de ma fille que dans la mienne. Une oeuvre d'une richesse et d'une intensité rares, portée par une voix qui fera époque.

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