Il fait un temps de vérité dans la poésie.
Robert Yergeau, L’usage du réel
Le mercredi 5 octobre dernier, à Gatineau, mon professeur, éditeur et ami, Robert Yergeau, a rendu l’âme. Il avait 54 ans.
Poète de l’acuité et essayiste redoutable, Robert Yergeau détenait un doctorat de l’Université de Sherbrooke et était professeur titulaire au département de français de l’Université d’Ottawa. Il a publié huit recueils de poésie (dont Le Tombeau d’Adélina Albert et Prière pour un fantôme), deux essais (À tout prix. Les prix littéraires au Québec et Art, argent, arrangement. Le mécénat d’État), des dizaines de chapitres de livres consacrés aux littératures québécoise et franco-ontarienne et dirigé d’innombrables thèses de maîtrise et de doctorat. Il a en outre fondé, en 1988, Les Éditions du Nordir, une maison qui a accueilli, abrité et soutenu toute une génération d’écrivains et où j’ai publié 10 livres.
Robert Yergeau m’a transmis son amour de la poésie et m’a fait découvrir les textes de nombreux écrivains qui, aujourd’hui encore, continuent d’être pour moi des lectures incontournables auxquelles je reviens comme à une source. Parmi eux, je ne citerai que les géants de la poésie du XXe siècle que furent René Char et Yves Bonnefoy.
Robert Yergeau était un esthète, dont j’admirais l’intelligence supérieure, la lucidité fulgurante et l’humour décapant. C’était aussi un athlète et un ascète à des années-lumière du cliché du poète mangeant son pain noir. Lorsque j’étais en sa présence, je me sentais à tout coup admis en un lieu habité par le savoir, et le pain que nous mangions était celui du partage et de l’amitié.
Son départ précipité laisse dans le deuil ses enfants, dont il parlait toujours avec fierté, son épouse, sa famille élargie, mais aussi la grande famille des auteurs qu’il a mis au monde et qu’il a accompagnés avec toute la générosité qu’on lui connaissait. Le milieu de l’édition, les étudiants qui, comme moi, ont eu l’extraordinaire chance de profiter de son enseignement engagé et ses collègues du département de français, tous, autant que nous sommes, pleurons aujourd’hui sa mort.
Si ce deuil partagé me fait me sentir moins seul, je ne peux me résoudre à L’usage du réel, à cette Déchirure de l’ombre qui a fait basculer Le poème dans la poésie. Quand nous cherchons sans cesse cette Présence unanime, il ne nous reste plus que l’exercice de la mémoire et L’Oralité de l’émeute pour éviter qu’à tout jamais Les miroirs chavirent.*
Condoléances à la famille.
Repose en paix, cher ami.
Stefan Psenak
*Les passages en italiques sont les titres de quelques-uns des recueils de poésie de Robert Yergeau.
Robert Yergeau (1956-2011)