lundi 10 octobre 2011

En guise de révérence

Il fait un temps de vérité dans la poésie.
Robert Yergeau, L’usage du réel

Le mercredi 5 octobre dernier, à Gatineau, mon professeur, éditeur et ami, Robert Yergeau, a rendu l’âme. Il avait 54 ans.

Poète de l’acuité et essayiste redoutable, Robert Yergeau détenait un doctorat de l’Université de Sherbrooke et était professeur titulaire au département de français de l’Université d’Ottawa. Il a publié huit recueils de poésie (dont Le Tombeau d’Adélina Albert et Prière pour un fantôme), deux essais (À tout prix. Les prix littéraires au Québec et Art, argent, arrangement. Le mécénat d’État), des dizaines de chapitres de livres consacrés aux littératures québécoise et franco-ontarienne et dirigé d’innombrables thèses de maîtrise et de doctorat. Il a en outre fondé, en 1988, Les Éditions du Nordir, une maison qui a accueilli, abrité et soutenu toute une génération d’écrivains et où j’ai publié 10 livres.

Robert Yergeau m’a transmis son amour de la poésie et m’a fait découvrir les textes de nombreux écrivains qui, aujourd’hui encore, continuent d’être pour moi des lectures incontournables auxquelles je reviens comme à une source. Parmi eux, je ne citerai que les géants de la poésie du XXe siècle que furent René Char et Yves Bonnefoy.

Robert Yergeau était un esthète, dont j’admirais l’intelligence supérieure, la lucidité fulgurante et l’humour décapant. C’était aussi un athlète et un ascète à des années-lumière du cliché du poète mangeant son pain noir. Lorsque j’étais en sa présence, je me sentais à tout coup admis en un lieu habité par le savoir, et le pain que nous mangions était celui du partage et de l’amitié.

Son départ précipité laisse dans le deuil ses enfants, dont il parlait toujours avec fierté, son épouse, sa famille élargie, mais aussi la grande famille des auteurs qu’il a mis au monde et qu’il a accompagnés avec toute la générosité qu’on lui connaissait. Le milieu de l’édition, les étudiants qui, comme moi, ont eu l’extraordinaire chance de profiter de son enseignement engagé et ses collègues du département de français, tous, autant que nous sommes, pleurons aujourd’hui sa mort.

Si ce deuil partagé me fait me sentir moins seul, je ne peux me résoudre à L’usage du réel, à cette Déchirure de l’ombre qui a fait basculer Le poème dans la poésie. Quand nous cherchons sans cesse cette Présence unanime, il ne nous reste plus que l’exercice de la mémoire et L’Oralité de l’émeute pour éviter qu’à tout jamais Les miroirs chavirent.*

Condoléances à la famille.

Repose en paix, cher ami.

Stefan Psenak

*Les passages en italiques sont les titres de quelques-uns des recueils de poésie de Robert Yergeau.


Robert Yergeau (1956-2011)

lundi 15 mars 2010

La responsabilité partagée du patrimoine

Voici la version intégrale du texte qui paraît aujourd'hui dans LeDroit.

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Après s’être acharné sans succès à tenter d’obtenir un permis pour démolir la maison du gardien du cimetière Notre-Dame, la corporation Les Jardins du Souvenir fait l’objet d’un nouvel article dans Le Droit (11 mars 2010, p. 9) qui nous apprend qu’elle ne compte pas réactiver le dossier de la restauration de la maison avant 2011.

Ainsi donc, selon Roger Gagnon, directeur de la corporation, puisque « rien ne tombe […] on va se donner le temps de réfléchir. » La maison du gardien serait, affirme-t-il, en assez bon état pour « attendre encore cinq ans avant de bouger ». Cela sonne comme un triste air connu. N’est-ce pas, pratiquement mot pour mot, ce que nous répétaient les propriétaires de Chez Henri? Vous me permettrez de m’inquiéter et d’insister sur l’urgence de faire un geste concret.

Contrairement à ce que laisse entendre M. Gagnon, la protection du patrimoine n’est pas l’affaire que de quelques « amants du patrimoine » ou de la ville. En se portant acquéreur du cimetière Notre-Dame, Les Jardins du Souvenir ont aussi acquis la responsabilité et le devoir de protéger l’intégrité patrimoniale de la maison du gardien. L’entêtement de la corporation à refuser de s’en occuper est à n’y rien comprendre. Pourtant, son seul nom, Les Jardins du Souvenir, nous semble aller à l’encontre de cette attitude désinvolte à l’égard d’un bâtiment unique de notre patrimoine. Rappelons que l’Inventaire et classement du patrimoine bâti de Gatineau accorde une entrée au cimetière Notre-Dame, acquis par les Oblats en 1872, dans laquelle on affirme, en parlant de la maison, que « sa rareté et sa fonction lui confèrent une valeur patrimoniale supérieure ».

La Ville de Gatineau a joué le rôle qu’on attendait d’elle en refusant trois fois plutôt qu’une la démolition de la maison. Il faut l’en féliciter. Elle doit maintenant procéder, dans les meilleurs délais, à la citation de l’ensemble du cimetière, incluant la maison du gardien, le charnier et l’arche.

Il importe de préciser qu’aux 25 000$ offerts par le programme de subvention municipal, il faudra ajouter l’admissibilité au programme d’aide du Fonds du patrimoine culturel québécois du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine dont peut déjà se prévaloir Les Jardins du Souvenir. Cette admissibilité a été rendue possible grâce à l’inclusion de la propriété du 75, boulevard Fournier au Programme particulier d’urbanisme (Modification du règlement 518-1-1- 2009). Ce geste de la Ville confère à la maison du gardien la même valeur juridique que la reconnaissance d’une citation d’un bien patrimonial.

J’aimerais aussi rappeler à Monsieur Gagnon, qui affirme que « la ville y pensera à deux fois avant de citer la maison du gardien, puisqu’elle se retrouvera ensuite dans l’obligation d’investir pour la maintenir en bon état » que le projet de loi 82 (Loi sur le patrimoine culturel) déposé par la ministre St-Pierre le 18 février 2010 est très clair à cet égard. L’article 26 prévoit en effet que Tout propriétaire d'un bien patrimonial classé doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la préservation de la valeur patrimoniale de ce bien. En outre, l’article 205 stipule que Tout intéressé, y compris une municipalité […] peut également obtenir de la Cour supérieure une ordonnance pour faire exécuter les travaux nécessaires pour assurer la préservation de la valeur patrimoniale d'un bien patrimonial cité dont le propriétaire ne respecte pas le devoir qui lui incombe en vertu de l'article 136.

La ville a un rôle à jouer dans la préservation de ce qu’il nous reste de patrimoine. En citant la maison du gardien, elle permettra à la corporation d’avoir accès à d’autres sources de financement. Lorsque cela sera fait, la corporation Les Jardins du Souvenir ne pourra plus se défiler et devra se conformer à la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel en restaurant ce bâtiment qui ajoutera, c’est mon humble avis, à la richesse du lieu.

C’est une question d’honneur et un devoir de mémoire.


Stefan Psenak

Conseiller municipal du District d’Aylmer
Président de la Commission des arts, de la culture, des lettres et du patrimoine

mardi 23 février 2010

La servilité a un prix

Depuis la mort de Pierre Falardeau, l'ineffable Alain Dubuc, à l'instar des autres propagandistes de l'empire Desmarais, sévit sans trop d'opposition dans les pages de La Presse et sur les ondes de la radio de Radio-Canada, à la navrante émission de Christiane Charette. On y entend si souvent les sbires de Power Corp que c'est à se demander si les différents réalisateurs de la radio d'état reçoivent le répertoire des membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Hier matin, donc, en préambule a une entrevue sur la bulle du crédit immobilier, la très critique Madame Charrette faisait l’apologie de la chronique de Dubuc publié le matin même (La bêtise a un prix), buvant les paroles du petit chroniqueur et partageant son indignation devant la campagne publicitaire L’expertise à un prix, orchestrée par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

Dubuc reproche en effet aux médecins spécialistes de proposer au gouvernement Charest de nouvelles sources de financement par l’entremise d’une taxe sur des produits tels que l’eau embouteillée et la malbouffe ou d’une hausse des tarifs d’électricité pour les grandes entreprises énergivores sous prétexte que cet argent servirait à « consentir aux spécialistes les hausses de salaire importantes qu'ils réclament ».

Qualifiant la campagne des médecins spécialistes d’« intellectuellement malhonnête », de « démagogique » et de « simpliste », le grand défenseur de la veuve et de l’orphelin et dactylographe de Paul Desmarais en a rajouté devant une Christiane Charrette indignée en laissant entendre qu’il était inacceptable de taxer la malbouffe, car cela revenait à taxer les plus pauvres. Et les taxes sur les produits du tabac, monsieur l’intellectuel, qui en écope, croyez-vous?

Indigné par les demandes d’équité salariale des médecins spécialistes, Dubuc fait lui-même déraper le débat dans la démagogie qu’il décrie en insinuant que le Québec n’a pas les moyens de donner suite à la hausse de 4 % demandée par le Dr Gaétan Barrette, le président fort en gueule de la FMSQ, « compte du fait que la crise financière est plus marquée au Québec, et que cela impose des contraintes que les spécialistes devraient accepter », sans avoir pris le temps de vérifier que ce que la FMSQ demandait, c’était plutôt une hausse de 4 % de l’enveloppe globale consentie aux médecins spécialistes.

Je suis de ceux qui croient qu’effectivement, l’expertise a un prix. Et qu’il n’est pas déraisonnable de payer convenablement les médecins spécialistes dans les mains desquels nous remettons notre santé et, parfois, notre vie. Nous serions sans doute étonnés du salaire consenti par Radio-Canada à même les deniers publics à son animatrice vedette Christiane Charrette.

La campagne L’expertise a un prix est certes imparfaite, mais elle a au moins le mérite de proposer des pistes de solutions et de soulever un débat qui doit être fait. Étrange, tout de même, que le servile Alain Dubuc reproche aux médecins spécialistes d’utiliser « [d]es messages télévisés payés à fort prix » pour faire passer leur message, lui qui nous inonde d’inepties à longueur d’année dans ses publireportages payés par Power Corp. et qui fait double emploi en touchant un cachet à Radio-Canada pour recycler ses idées.

mercredi 4 novembre 2009

L'énigme du retour

Dany Laferrière a reçu le prix Médicis pour son dernier roman!

La dernière lauréate québécoise? Marie-Claire Blais!

mardi 6 octobre 2009

À la mémoire de François Dufresne

François Dufresne, photographe de grand talent et homme de coeur, s'est enlevé la vie, jeudi dernier.

François, où que tu sois, merci pour les remarquables photos que tu as faites de moi. Merci pour le piano que tu nous a offert en cadeau. Merci pour ta démesure tranquille et ton oeil à la recherche de la vérité.

J'ai pensé à toi la semaine dernière. Je voulais te demander de faire de nouveaux clichés.

En attendant de mettre la main sur une photo de ta belle gueule tourmentée, j'en mets une en ligne, que tu as fait de moi dans le marché By en 1999 et qui a beaucoup voyagé ici, en Europe et en Asie.

Grille une clope pour moi. Requiem in pace.

vendredi 25 septembre 2009

Sur la mort de Nelly Arcan

J'ai appris la mort de Nelly Arcan sur le site Web de Radio-Canada. L'auteure de Putain et de Folle se serait suicidée. Son dernier livre, Paradis clef en main paraîtra à titre posthume aux éditions Coup de tête.

Je ne connaissais pas personnellement Nelly Arcan et je dois dire qu'elle me tombait un peu sur les nerfs quand je l'entendais se donner un faux accent français. Mais j'aimais lire ses chroniques et, surtout, ses livres. Elle avait un indéniable talent.

En pensant à elle, ce matin, morte trop tôt à un âge où la vie se prépare à vous donner ce qu'elle a de meilleur (elle avait 35 ans), j'ai ressorti cette bribe d'un essai (thèse) en préparation (Postures et impostures):

« Dans quelle mesure ma modeste contribution d’écrivain changera-t-elle le cours des choses, combattra-t-elle l’inanité de la vie telle que je la ressens, la mienne d’abord ? Connaissant la réponse, je persiste et signe néanmoins. Aveu d’espoir, acte de foi ou volonté de donner le bénéfice du doute à l’irrationnel ? On se raccroche à ce qu’on peut. Et l’on reporte l’option du suicide. »

Requiem in pace.

mercredi 16 septembre 2009

Conter ses morts

C'était en 1998. Nous étions au Festival des francophonies en Limousin, à Limoges, en France, avec une délégation de directeurs artistiques de l'Association des théâtres francophones du Canada (ATFC). Au programme, après une interminable cérémonie d'ouverture comme seuls les Français en ont le secret (le maire, qui était aussi préfet, si je me souviens bien, nous avait dit, et ce n'était pas une blague! : « Comme j'occupe deux fontions, vous me permettrez de vous entretenir deux fois longtemps » (si bien que les petits fours étaient impropres à la consommation après son discours)), nous avions assisté à quelques coproductions France-Afrique de peu d'intérêt, à des lectures et à de sympathiques entretiens menés par l'éditeur belge Émile Lansman. Puis il y avait ce spectacle de plus de 3 heures qui nous avait complètement renversés, autant que nous étions.

La première mouture de Littoral, créée l'année précédente au Festival de théâtre des Amériques, avec une distribution exceptionnelle qui mettait notamment en vedette Gilles Renaud, dans le rôle du père, Steve Laplante dans le rôle de Wilfrid et Isabelle Leblanc dans le rôle de Simone, et en tournée européenne cette année-là, nous avait laissé émus, vidés de nos peines, estomaqués et avait sauvé le festival.

Nous avons eu l'occasion de rencontrer Wajdi Mouawad et son équipe (dont David Boutin que j'ai connu à l'Université d'Ottawa) autour d'une table de billard, le lendemain, au bar Le Gousset, chez Edgar Flamand et Danie Chérie, les sympathiques propriétaires du quartier général des festivaliers qui souhaitaient étirer la nuit.

Sylvie et moi gardons un impérissable souvenir de cette représentation de Littoral. Il s'était passé ce soir-là ce que nous allons chercher – mais que nous ne trouvons que rarement – au théâtre : l'expression de notre humanité.

C'est pour cela que je tenais à offrir à ma grande Léa et à deux de ses amies, Catherine et Monica, l'occasion de voir cette pièce importante du répertoire moderne. C'est donc accompagné de trois ados de 13 ans que j'ai assisté à cette nouvelle mouture de la pièce qui a lancé Mouawad et qui réunit une fois de plus une solide distribution québéco-française : Jean Alibert (remarquable dans son rôle du chevalier Guiromelan), Tewfik Jallab (Amé), Catherine Larochelle (Simone), Patrick Le Mauff (ancien directeur du Festival de Limoges qui incarne ici avec force le personnage du père), Marie-Ève Perron (Joséphine), Lahcen Razzougui (Massi), Emmanuel Schwartz (qui reprend le rôle de Wilfrid avec intelligence) et Guillaume Séverac-Schmitz (Sabbé).

J'en suis ressorti heureux, ébloui par cette histoire toute simple d'un jeune homme qui porte sur son dos le cadavre de son père à la recherche d'un lieu pour l'enterrer dans son pays natal, ravagé par la guerre. Sur sa route, il rencontrera des compagnons et compagnes d'infortune qui feront le périple avec lui jusqu'à ce qu'il trouve enfin le lieu du dernier repos. Cette quête d'identité, cette démarche pour donner un sens à leur vie et panser leurs blessures est un extraordinaire exercice de mémoire. Une métaphore qui a alimenté la discussion sur le chemin du retour et qui continuera de soulever des questions, autant dans la tête de ma fille que dans la mienne. Une oeuvre d'une richesse et d'une intensité rares, portée par une voix qui fera époque.